II. MON TÉLÉ-ROMAN DE VIE• Mon Histoire : 19 mars 1988 - Lettre de Giulia Giacometti a Tessa Quayle.
Tess,
Je suis mère. Un enfant est né. Mon Samuel, mon si joli Samuel. Je t'écris à pas de loup, il est à côté de moi dans son berceau, il viens a peine de s'endormir, mais il rêve déjà. Son petit corps remue doucement. Ce n'est pas un cauchemar. Il cauchemarde très rarement, et quand il le fait, son tout petit nez se fronce. Mon dieu, il a trois jours et je suis amoureuse de mon enfant. Il est beau. Il ne me ressemble pas, il ressemble à son père. Tu te souviens, comme on se fichait des mères penchées au dessus de leurs berceaux 'oooh, c'est le portrait de son papounet!'... On disait qu'un bébé ressemble à un bébé comme tout les autres bébés, voila tout. On avait tord, ma Tessa.
Mon enfant est né en Sicile. Je suis heureuse, c'est ce que je voulais. Le père n'était pas là. Desmond, il s'appelle. Il n'est pas méchant, mais je ne suis pas sure de beaucoup l'aimer. On s'en fiche, tu va me dire, tu auras raison. Il est beau. C'est tout ce que je voulais. Oh, Tessa, si tu le voyais, cet enfant, tu craquerais. Il va devenir magnifique. On aura jamais vu de garçon comme ça. Il y a du Baudelaire dans ses yeux. Il a le teint des Fleurs du Mal. Ce sera un démon. C'est un peu a cause de son prénom que j'ai choisi son père, de toute façon.
Je ne sais pas ce que je vais faire. Desmond revient de Liverpool dans trois jours. Il en a un peu marre de la chaleur de Palerme. Il n'a pas encore vu son fils.
Mais je crois que je n'ai pas envie de le revoir. Ou en tout cas, je ne veux pas qu'il voie son fils. J'ai envie de te revoir toi. Te rejoindre à Turin, je me dis, pourquoi pas...
J'irai a la station des navettes tout a l'heure. Voir s'ils vendent aussi les billets de train.
La bacio,
Giulia.
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Le 9 Octobre 1995 - Carnet de Correspondance de Samuel Beckett, CP.
Madame,
Je souhaiterais vous rencontrer afin de discuter de votre fils scolarisé dans ma classe de CP-Torino, Samuele Beckett. En effet, je pense que votre fils n'a rien a faire dans ma classe. Il n'est pas interessé par ce qu'on fait, et j'ai fini par découvrir que ce n'était pas de la mauvaise volonté venant d'un cancre, mais de l'ennui venant d'un enfant précoce. Ainsi, je voulais évoquer avec vous l'éventualité d'un placement dans un niveau supérieur de votre enfant.
Signora Caratini.
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Le 23 décembre 1995 - Caméra de surveillance de l'aéroport Santa Barbara Municipal Airport
Un petit garçon est assis nonchalamment sur le banc d'un terminal. Sa mère est en train de gesticuler au comptoir, essayant de demander à l'hôtesse, avec un fort accent italien, dans combien de temps ils pourront sortir de l'aéroport. L'hôtesse, qui est anglaise, ne comprend pas bien. Elle ne fait que secouer la tête d'un air désolé un répétant 'hurricane, hurricane'. Le petit garçon, qui commence a décidément s'ennuyer, allonge ses jambes sur sa planche de surf minuscule et tape sur la chaise en face avec ses pieds. Le jeune homme qui est assis sur cette dudite chaise se retourne agacer. Ses lèvres bougent rapidement. On peut y lire 'on est tous fatigués, petit. arrête, un peu', les jurons en moins. Il tiens dans ses bras une guitare. L'enfant est fasciné. Il n'a jamais vu ce genre de choses qu'a la télé, ou sur des scènes. Pour lui, ces objets n'appartiennent pas à la réalité. Le musicien, amusé, lui tend l'instrument. Le petit la tiens religieusement. On dirait qu'il tient une femme pour la première fois. L'étudiant lui montre deux, trois accords. Le petit sort des jolis sons, émerveillé. Il est capable de faire comme le grand monsieur noir avec beaucoup beaucoup de cheveux qu'il y a partout sur les murs à la maison! Sa mère le regarde, de loin. Sourit.
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Le 5 Septembre 2004 - /
Il se tient un peu loin pour pas avoir l'air d'une cruche amoureuse qui arrive d'un grand pas avec un énorme sourire 'hé, salut, tu te souviens, on s' est vus au lycée. Mais sii, tu sais, a Santa Barbara! Non? Tu te souviens pas de moi...Non, je suis pas lycéen, mais je suis le guitariste des Call for Rimbaud...'. Il se tait. Il fait semblant de regarder par la fenêtre, mais en fait, du coin de l'oeil, il regarde son visage à elle. Si beau. Tout fin. Il aurait presque peur de la toucher, de toute façon, cette fille. Peur de la casser. La vérité, c'est qu'il l'a déjà touchée, il a déjà posé ses lèvres sur les siennes, mais elle dormait. Il ne sait pas si elle s'en souvient. Il ne se rappelle pas avoir été un jour dans sa vie dans une aussi horrible situation. Il ne peut pas se diriger vers elle avec son éternel sourire et sa verve. Non. C'était à une fête, il faisait partie des grands même s'il avait l'age des petits, parce qu'il était en deuxième année de médecine, ils avaient vaguement parlé après le concert, elle l'avait félicité, et vers six heures, pendant qu'il parlait avec d'autres gens, elle s'était endormie toute seule dans le salon, laissant tout les autres dans le jardin. Il était rentré pour aller se chercher une bière. L'avait vue, là, si paisible. Etait tombé amoureux. Il avait penché doucement sa tête, sans réfléchir. L'avait embrassé. Puis, troublé, il avait prit sa bière, était sorti, avait prit son cintre de fêtard. Et voila maintenant qu'il est là, tout coincé, prêt a prendre l'avion pour Palerme, et qu'elle est dans le même terminal. C'est donc ça, ce que ça veut dire, être crispé par la peur. Et puis merde, la vie est courte, on fait tous des erreurs, il tourne la tête d'un coup, et advienne que pourra. C'est drôle, elle prend la même décision au même moment. Il croise ses yeux. Il sourit, rit, presque. Elle se souvient.
Ils sont plus de deux mille et on ne voit qu'eux deux.
Quand il prend l'autre décision de se diriger vers elle, pas pour faire une scène de film culcul, juste pour lui dire bonjour, mettant en veilleuse le côté 'haha, j'ai voulu jouer les Prince Charmants avec toi, mais malheureusement, je sais pas, mes lèvres devaient pas être assez douces, tu t'es pas réveillé...'. Elle, par contre, c'est très clair dans sa tête. Elle sait ce qu'elle va faire dans la minute, même si ça la fait crever de peur. Elle s'en fout. Complètement. Elle a raison. Il n'y a que l'amour, le reste on s'en fout. Elle marche très rapidement, dans une trajectoire droite, sans hésitations. Ils arrivent en face l'un de l'autre, si près. Elle le regarde un instant, comme si elle le défiait des yeux. Elle fait beaucoup ça. Elle est malicieuse, joueuse. Elle ouvre la bouche. 'Je m'appelle Alice. J'avais oublié de te dire'. Alice, c'est un joli nom, pense Samuel, quand leurs lèvres se rencontrent pour la deuxième fois, cette fois par son initiative à elle.
C'est fou, ce qu'on peu tomber amoureux comme on tombe d'une chaise.
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Le 1er Janvier 2008 - L'album de mon bébé, 'l'album del mio bambino'
Je m'appelle Nine Ira Beckett, je suis née cette nuit, le 1er janvier 2008. Mon papa et ma maman qui m'aiment fort s'appellent Alice Rosenberg et Samuel Beckett. Pour eux, je suis une merveille un accident, qu'on aime de tout notre coeur.
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Le 2 Février 2008 - Acte de décès de madame Giulia Giacometti
Préfecture de police de Turin, Italie.
Madame Giulia Giacometti a été retrouvée morte hier soir (à dater du 1er Février de l'an 2008) dans son appartement du Via Giotto 3, 10126 Torino, visiblement transpercée de quatre coups de couteau. Son appartement ayant été vidé de tout objet de valeur, le meurtre par un voleur reste la principal piste. L'agresseur ayant probablement été surpris par la victime en plein travail, réagissant au quart de tour, sans réflechir.
Comissaire Stretto, Febbraio due, due miglio otto.
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Même jour - /
Les mains de Samuel se resserrent autour de celles d'Alice. On dirait qu'elles sont en train de faire l'amour. Cette fois, ce n'est pas le cas. Leurs corps si habitués a l'amour, au calme, au doux, sont courbés de douleur. S'il ne réfléchissait pas un minimum, Samuel broierai la main de son amante. Si elle ne réfléchissait pas, elle l'aurait laissé faire.
Samuel à l'impression qu'on lui a arraché le cœur, qu'il ne servira jamais a rien, que le destin s'est transformé en faux ami qui, après lui avoir fait tant de promesses, lui reprend le plus important. La madre. Si forte, si belle. L'injustice est grande. Mais Samuel n'est pas un mafieux. Samuel est un poète, un amoureux. Un impulsif. Il ne sait plus quoi faire. Ils sont assis sur la petite marche qui mène a leur immeuble. Alice tiens Nine dans le creux de son coude. La petite dors malgré la pluie qui lui tombe sur le front, se mêle a la poussière de la ville, couvre ses parents de boue, ce a quoi ils sont bien sur complètement indifférent. Le nouveau père pleure. Il ne sait pas. Il a mal, mal mal.
Sa mère est morte, et il a mal, mal, mal.
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Le 3 Février 2008 - Formulaire d'inscription dans l'armée américaine.
NOM/ Beckett; PRENOMS/ Samuel; AGE/ 21 ans; METIER/ Etudiant en médecine. Aucun. MOTIVATIONS POUR RENTRER DANS L'ARMEE/ Je Servir mon pays. ACCEPTERIEZ-VOUS, DANS L'EVENTUALITE D'UN CONFLIT, DE PARTIR EN IRAK/ Oui.
"Crétin, mais crétin! Qu'est-ce que tu crois, que de tuer des gens sans réflechir te ramènera ta mère? Tu crois que ça aidera Nine? Que ça m'aidera moi, et toi? T'es impulsif. Tu as mal, alors tu crois que c'est la seule chose à faire. Mais t'es qu'un imbécile, Beckett. Va te faire tuer, si c'est ça ce que tu veux. Je m'en fous, connard. Vas-y!" Alice Rosenberg.
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Le 1er avril 2008 - Lettre officielle de la préfecture de Turin à la base militaire américaine - Irak.
Le dénommé Samuel Beckett est prié de rentrer chez lui pour raisons familiales impliquant sa jeune fille de trois mois, NINE IRA BECKETT-ROSENBERG.
/ Samuel chiffone la feuille. Ca le rend malade de voir le nom de sa toute petite fille tapé en lettres officielles par des connards qui s'en foutent. Il passe la main dans ses cheveux coupés en brosse. Lui qui agit et vit comme un zombie depuis qu'il est dans l'armée, il est tout d'un coup tout animé. Qu'est-ce qui arrive a Nine? Qu'est-ce qui arrive de si grave pour qu'on demande son retour du champ de bataille? C'est une blague, en fait, c'est ça?
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Le 4 avril 2008 - /
Samuel fouille frénétiquement les armoires de son appartement turinois retrouvé depuis quelques heures. Il crève de sommeil, mais il y est presque insensible. C'est comme si le sommeil engourdissait son corps pour lui permettre de continuer a bouger, marcher, éventuellement parler. Nine pleure, dans son berceau. Elle a grandit pendant ces deux mois, c'est incroyable. Elle aussi, elle crève de sommeil. A croire que la mort plombe décidément tout. Mais elle pleure, elle pleure la gamine. Elle commence a fatiguer le cerveau endoloris de son père, qui se tourne vers elle.
"Mais ta gueule, putain! Ta gueule, Nine! Tu crois quoi? Que si tu gueules assez fort ta mère va sortir de l'enfer pour te consoler? Hein? Mais ferme ta conasse de gueule sinon je te la ferme a coup de couteau..."
Au fur et à mesure qu'il crie, les larmes douloureuses arrivent dans ses yeux, le baignent, l'empêchent de respirer. La souffrance est atroce. Sa gorge se bloque a chaque sanglot, il a l'impression qu'il va s'étouffer sur place, ou se noyer dans ses larmes. Un gouffre se forme, se forme tout entier dans son corps. Il a l'impression d'être transpercé de part en part. Il s'approche a genoux du berceau, se roule en boule par terre, se berce tout seul. 'je suis désolé mon amour, tellement désolé...' Les cris qu'il pousse lui font honte d'abord, ils sont infâmes, et il ne peut même pas les contrôler. Puis il n'y pense même plus. Puis il s'endort.
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De nos jours.
Quand Samuel arrive à Londres, Nine sous le bras, les choses semblent s'améliorer. Il trouve à la gare en attendant un taxi une annonce demandant domestique a tout faire pour plein temps dans une grande famille; incluant ménage, repassage, garde des enfants, cuisine, service. Le tout extrêmement bien payé, et, sauf exceptions, libérant beaucoup de jour. Ils s'installent dans une petite chambre de bonne douillette au dernier étage d'un immeuble victorien. Tout va bien. Il ne veut pas reprendre médecine. Il sait, qu'être larbin alors qu'il est on ne peut plus intelligent, et qu'il faisait de brillantes études de médecine accompagnées d'études de langues et de psycho-philosophie en auditeur libre est idiot. Mais, c'est comme ça, voila. C'est or de sa portée.
"Tu vois, ma Nine. J'ai perdu toutes les femmes, tout les amours de ma vie. Maintenant, il ne me reste plus que toi. C'est drôle. Non, c'est pas drôle. Mais on s'en fout, je t'aime."
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Séq. 1, Scène 1. Intérieur nuit. Une pièce presque vide, remplie seulement d'une chaise. Samuel B. est assis, torse nu, une cigarette à la main. Il est seul. Il parle. SAMUEL: J'ai la sensation d'être mort. Je sais que mon corps l'est...Je crois que ça n'a pas beaucoup d'importance. Ca me tue de savoir que je continue a avoir des besoins.